J'étais là, en boule
Baigné dans ce liquide, dans une sorte de bulle
Il y en a qui disent qu'on est bien, comme en osmose
Je n'ose pas dire l'inverse, j'en garde pas de souvenir
Je ne sais qu'une chose, c'est que j'étais pressé d'en sortir
Drôle d'idée pourtant, car une fois que t'es là c'est pour un bout d'temps
Bon, ben, voilà c'est fait et après ce bon bain
J'ai découvert mon nouvel univers avec mes yeux de bambin
Tout est beau et étrange, un peu des deux
Ma mère est un ange et mon père un dieu
À chaque fois que j'me lâche, mon lange se change comme par miracle
Et un téton se cale dans mes lèvres quand dans ma gorge un cri racle
Tout va très vite, je vis à cent à l'heure, tout bouge, en-dehors comme dedans
Y a tant à découvrir, je touche, je goutte, entre joie, pleurs et poussées de dents
Bref, le temps s'écoule, j'en passe les détails
Tout parent sait qu'à des moments c'est cool et qu'à d'autres c'est un champ de bataille
D'un coup, sans que j'ai le temps de dire ouf
J'ai 5, 6, 7, 8 ans et tout ce qui avant coulait de source
M'a paru soudainement moins évident quand
Mes parent, jusqu'à présent si parfait si sages
Me sont apparus sous de nouveaux visages, dur apprentissage
Il y a des bringues, des disputes, des plaintes et maintes turpitudes
Cocon familial qui s'déglingue
Il y a des mots crachés, des mots trash et cette rage qui percute mes certitudes
Une maman qui se barre et un papa mal barré
Des cœurs broyés, drôle d'ambiance dans le foyer que le silence a accaparé
J'ai 12 ans quand j'entre dans la révolte
Avec mes potes, sales gosses irrités que l'autorité survolte
On fume des clopes, on casse, on vole
On se fout des sacrées volées à l'alcool
Et entre autres déboires, on devient les bêtes noires de l'école
Ensuite, il y a le cycle secondaire
Adieu l'enfance, je saute à pieds joints dans l'adolescence
Fini les broutilles, les déviances et travers de pacotille
La délinquance prend ses grands airs et moi
J'attache mes rêves à un poteau et je les fusille sans émoi
C'est la guerre
En classe comme à la maison
Je prends des claques, j'encaisse et plus je raque, plus je réponds
Mes mots sont des armes que je braque et je n'manque pas d'mitraille, de munition
Je suis un soldat, je n'crains ni représailles ni punitions
Je tire dans le tas, jamais en l'air
Et le terme abdication ne fait pas partie de mon vocabulaire
Les belles années semblent derrière
Et si le pire est à venir, je ne donne pas cher de ma chair, ni de mon avenir
Mais bon, le temps passe, la conscience évolue
Et même si je n'peux pas vraiment m'dire adulte à 18 ans révolus
Je me remets à rêver
Et petit à petit je commence à comprendre
Que la paix doit naître en mon cœur pour que je puisse la répandre
Trop immature encore pour tourner la page
J'ai tant de rage qui me colle au corps, me serre au cou comme une corde à pendre
Et ces coups de la vie qui surviennent sans prendre le temps de prévenir
Qui sont comme des lames et nous font verser tant d'larmes
Quand ils nous retirent des amis comme Samir
Ces coups qui nourrissent mon sentiment d'injustice
Et qui, en prime, me payent une belle déprime
Ma vie n'est pas une plume virevoltant dans le vent
Mais un bout d'acier sur l'enclume ployant sous les coups d'marteau le modelant
Ce n'est que passé la vingtaine que j'ai déposé ma haine
Sans hésiter, comme un bagage inusité
Comme un poids devenu fardeau, que l'on jette à l'eau pour éviter de faire chavirer le radeau
Ou comme un vieux boulet en forme de balle et que j'avais déjà par trop trimballé
La vie sait nous sourire quand on prend la main qu'elle nous tend
Choisir ou subir, voilà la question qu'elle sous-tend
Je continue ma route un peu allégé
J'ai toujours des questions des doutes, mais que j'ai agrégé
À un tout plus lucide, plus limpide, plus clair, j'ai appris à faire le tri, à départager
C'est là que mes pas, sans que je m'en rende compte
M'ont guidés au gré du chemin vers une bien belle rencontre
Comme un rayon de soleil dans mon ciel encore trop enténébré
J'apprends à ne plus combattre la vie, mais à la célébrer
De cette rencontre sont nés deux êtres magnifiques
Qui m'ont enseigné que chaque instant peut être magique
Aujourd'hui suis-je adulte ? Je n'en suis pas sûr
J'avoue que la dénomination ne m'emballe pas à outre mesure
Ni ces valeurs morales qu'on me demande d'adopter
Cela fait-il de moi un marginal, un inadapté ?
J'ai dans mon cœur la joie de l'enfant
Dans mon ventre la révolte de l'adolescent
Je suis tel que je suis dans l'instant présent
À l'instar de la vie, un perpétuel mouvement naissant
© Plume au Vent, 2020
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